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dimanche 7 août 2016

L’empire Inca existe toujours à Taquilé


A la fin, mon rationalisme devra bien s’accommoder d’une vérité que je ne peux plus nier : Tout du long de ce grand voyage, l’Univers nous aura eu à la bonne. Et même si cela ressemble bien à de la pensée magique, il me faut avouer que notre séjour final sur l’Ile de Taquilé, dans la partie péruvienne du lac Titicaca, présente bien toutes les caractéristiques d’un cadeau du ciel. Pendant 12 mois, nous avons cherché par monts et océans des Open Villages, ces communautés que nous avions sélectionnées avant de partir parce qu’elles répondaient aux « cahier des charges » que nous avions déterminé pour ces communautés rurales autonomes dont nous voulions apprendre les secrets. Et voilà que, de manière impromptue et alors que nous commencions à plier nos bagages et à préparer le grand retour, nous décidons de faire un « petit passage » rapide à Taquilé pour voir ce qui s’y passe, sans doute en partie décus par notre expérience sur la Isla del Sol où l’accueil des hommes ne fut pas à la hauteur de la splendeur des paysages. Nous voilà donc partis pour une visite éclair de 2 jours qui se transforma en une semaine et, n’eussent été les Jeux Olympiques au Brésil qui remplirent tous les avions que nous aurions pu prendre pour arriver à Sao Paulo avant le 7 août, nous serions bien restés une semaine de plus. La raison de cet engouement pour une Ile qui ne fait pas plus de 5, 5 Km2 ? Elle abrite un Open Village, peut-être d’ailleurs le plus complet ou cohérent qu’il nous ait été donné de voir. Leur secret ? Les règles et les traditions de l’Empire Inca y subsistent toujours, cinq siècles après la Conquista. 

Le code impérial
« Ama Sua, ama llulla, ama quilla » : ne pas voler, ne pas mentir, ne pas paresser. Les trois lois du code inca sont toujours en vigueur à Taquilé. Le lieutenant gouverneur, le maire et le président des 6 communes (Suyus) insulaires, qui ont accepté de nous recevoir pour nous expliquer le fonctionnement de l'île, se réfèrent à ces règles et les identifient comme les valeurs fondamentales de la communauté taquileña. Les maisons restent ouvertes sans que personne ne craigne que ses affaires disparaissent. Lorsqu’ils ne travaillent pas aux champs, les hommes tricotent en discutant sur la place centrale du village et les femmes filent la laine d’alpaga sur les chemins escarpés sur des quenouilles qu'elles emportent partout avec elles. Quant au mensonge, il serait un suicide social dans une communauté de 2000 habitants où tout le monde se connaît et où les nouvelles circulent très rapidement.




L’autonomie individuelle et collective
L’aylu est la structure sociale de base chez les indiens des hauts plateaux andins. Elle survit encore à Taquilé sous la forme « d'associations » intra-familiales dont les membres se regroupent pour exploiter la terre, pour acheter collectivement un bateau de transport touristique, pour construire des chambres d'hôtes ou investir dans l'équipement d’un petit restaurant. Les produits agricoles et les revenus sont répartis entre les sociétaires qui s'entraident aussi en cas de difficultés et prennent soin de leurs anciens. Au sein de chaque famille, on vit en autonomie. Les champs (pommes de terre, maïs, quinoa et fèves), l'élevage de poulets et la pêche procurent la nourriture, l'artisanat et l'accueil de touristes les revenus complémentaires.



Au niveau de la communauté, l'organisation du travail vise aussi à encourager cette autonomie. Comme je viens de l'évoquer, l’oisiveté est socialement rejetée mais ce n'est pas pour autant qu’elle a été remplacée par la division productiviste du travail que nous avons embrassée dans notre monde moderne. Au contraire, la structure sociale de l'empire inca reposait sur deux maximes simples : aide toi et l'empire t'aidera (si nécessaire) et à chacun selon ses besoins. Ainsi, à Taquilé, les leaders de la communauté organisent la solidarité de manière à ce qu'il n'y ait pas de trop grandes différences de revenus entre les individus, entre les familles et entre chacun des six Suyus.

Dans l'empire inca, les parcelles agricoles appartenaient à la communauté et étaient réparties équitablement entre chaque foyer en fonction d'un nombre total de ses membres. Pour tenir compte des différences de fertilité et de rendement des terres, les surfaces unitaires distribuées (ou tupus, dans une famille, on comptait un tupu pour un couple, un tupu supplémentaire par homme valide, un demi tupu par femme, etc. ) étaient très certainement variables d’une région à l'autre voire d'un village à l'autre. Cette redistribution se faisait régulièrement et ainsi personne n'était propriétaire d'un lopin de terre : simplement usufruitier temporaire, jusqu’à la prochaine réallocation des tupus. Dans un contexte de pénurie des bons sols et ce, malgré les efforts considérables des ingénieurs et des agronomes incas pour construire des terrasses pour les cultures et des réseaux hydrauliques pour les irriguer, ce mode de répartition équilibré et temporaire permettait de s'assurer que tout le monde disposait des mêmes chances et des mêmes ressources naturelles pour se nourrir.

Aujourd’hui, les réformes agraires de l’Etat péruvien ont détruit ce délicat équilibre en introduisant la propriété privée sur le modèle européen et, à Taquilé comme ailleurs au Pérou, les familles sont propriétaires de leurs sols et peuvent l'exploiter comme bon leur semble. Pour autant, le partage communautaire « dirigé » survit dans d'autres activités comme le tourisme ou la vente des produits de l'artisanat (voir prochain paragraphe).

La hiérarchie
C’est sans doute l'aspect le plus troublant du fonctionnement insulaire, notamment pour un libertaire. La vie à Taquilé est très organisée, et encadrée par des règlements précis. On est étonné de voir placardé sur le mur extérieur du bâtiment officiel des procédures et des listes de noms indiquant les rôles et les tâches de chacun lors des prochains grands événements organisés par la communauté (festival de danse, productions artisanales, ...). Tout y est défini, jusque parfois même la tenue vestimentaire. Cette planification a pu amener certains anthropologues et économistes du début du 20ème siècle à qualifier de « socialiste » l'empire inca, dans un anachronisme étonnant mais qui a une part de vérité. Il reste que par la nature même du pouvoir exercé et par la manière dont ce pouvoir est accordé à certains, on est sans doute à Taquilé plus proche du fonctionnement d'un Soviet (avec toutes les précautions d’usage bien entendu) que de celui des anciennes républiques socialistes d’Europe de l’Est avec leur nomenklatura privilégiée.

De fait, tout comme dans l'empire inca qui était très hiérarchisé, la petite communauté de Taquilé a ses autorités, ses leaders et toute une structure de responsables locaux.  Ces responsables sont reconnaissables à leurs tenues (pantalon, boléro et chapeau noir) de même que les dignitaires de l'empire se distinguaient par des ornements physiques et vestimentaires. Une différence toutefois avec le régime aristocratique des incas : les chefs de Taquilé sont choisis une fois par an sur proposition et par un vote à main levée sur la grande place du village. Mieux encore : avant d'être choisi pour les plus hautes fonctions, il faut obligatoirement avoir assumé les plus basses....
Les dirigeants ne sont pas rémunérés et doivent continuer à travailler pour assurer leur subsistance. La charge qui leur est confiée est un honneur et une responsabilité, pas une fonction ou un pouvoir.  De même, dans l'empire inca, la distribution des parcelles de terre et la part des productions qui revenaient à l’empereur et au Soleil, n'étaient déterminées qu'après qu'on se soit assuré que les populations (y compris celles qui avaient été conquises après une guerre) aient de quoi vivre. « Premiers à servir, derniers au moment de la redistribution » : les leaders de Taquilé semblent avoir fait leur cette maxime du « bon gouvernement ».

Les autorités de l’île régulent plus qu'elles ne dirigent. Elles mobilisent les ressources de la communauté pour les tâches collectives, organisent la vie sociale et s'assurent que personne n'est indûment privilégié dans l’exercice des activités économiques. Ce sont elles par exemple qui fixent l'ordre de départ des bateaux à tour de rôle afin que les taux de remplissage soient équilibrés ou qui planifient de manière égalitaire pour chaque famille les temps de mise à disposition des produits d'artisanat dans le magasin officiel. Une certaine concurrence est admise mais elle ne doit pas résulter dans l'accaparement par certains d'une source de revenus nécessaire à tout le monde.

La préservation des traditions et de la culture
Les textiles de Taquilé sont inscrits au patrimoine culturel et immatériel de l'humanité par l’Unesco. Les habitants tissent sur des métiers à la structure rudimentaire mais qui permettent une étonnante finesse des matières et une grande complexité et richesse des dessins et des couleurs. Le savoir faire de teinture naturelle par décoction de plantes est encore en partie maîtrisé par les habitants de l’ile.


La reconnaissance internationale a sans doute contribué à la conservation des savoir-faire de tissage et de tricotage, de même que l'existence d'une forte demande étrangère pour les ceintures, boléros, écharpes, gants, bonnets, et autres pièces d'habillement ou de décoration réalisées par les mains expertes des habitants, hommes, femmes et enfants. Mais cela n'est sans doute pas la seule raison qui explique que dès leur plus jeune âge les enfants soient formés à ces activités. En effet, les habitants de l'île portent partout l'habit traditionnel de leur communauté, y compris lorsqu'ils sont chez eux loin des regards des touristes qui visitent l'île chaque jour. Le vêtement fait véritablement partie de l'identité taquileñienne. Ses ornements et les broderies qui le décorent définissent l'identité de celui ou de celle qui le porte, son statut marital, son origine et son activité, dans une codification claire aux yeux de tous : un bonnet rouge indique un homme marié, un bonnet rouge et blanc, un homme célibataire, un pompon d'une certaine forme et couleur que cet homme cultive des pommes de terre, etc. Dès lors, on comprend que pour conserver cette transparence sociale qui fait la trame des relations interindividuelles sur l'île, il était nécessaire de conserver l'ensemble des savoir-faire permettant à chacun d'indiquer son identité au reste de la communauté.


Il n'y a pas de différenciation raciale, de droit du sang ou de « préférence nationale » pour qui souhaiterait s’établir à Taquilé. A l’image de l’empire Inca qui a su intégrer plueirus peuples au cours de sa rapide expansion, peut être taquileño tout individu qui accepte de respecter les règles de fonctionnement et les traditions en vigueur sur l'île. Il faut croire pourtant que les occidentaux ont quelques difficultés : dans les années 70 et 80, quelques uns ont tenté de s'établir à Taquile, mais n'ayant pas réussi à se plier aux règles mises en place par la population, ils ont dû partir.

La population autochtone de l'île est stable. Les jeunes quittent rarement l'île et la très grande majorité de ceux qui s'en éloignent pour faire des études supérieures y reviennent. Pour le gouverneur général la raison en est simplement la très forte imprégnation culturelle des jeunes. Le festival des arts traditionnels qui a lieu une fois par ans et qui se déroule sur une dizaine de jours, est à cet égard un élément important dans l'appropriation de la culture locale par les plus jeunes.



Bien sûr, une autre raison est peut-être que tout simplement les gens vivent heureux sur l’île, mais nous n’y sommes pas restés assez longtemps pour pouvoir confirmer cette audacieuse hypothèse...


1 commentaire:

  1. Salut à tous et toutes.

    Je suis heureux de savoir qu'il existe des habitants dans ce monde mondialisé et globalisé à outrance, que des populations sont restés authentiques et fidèles à leurs traditions à leur cultures et et coutumes ancestrales.

    J'aurais aimé que les Nations Unies fassent en sorte de préserver ces cultures car avec l'uniformisation de tout y compris les opinions nous nous dirigeons vers notre propre disparition. tout un débat !

    Driss CHOUKRI.

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