Bien sûr, personne ne veut que vous alliez là-bas,
surtout pas les acteurs, les régisseurs et les publicistes de l’affligeant spectacle
politico-médiatique qui nous est servi jusqu’à la nausée depuis des années. Ceux
là même qui jusque là avaient le monopole de la parole, ne veulent pas que vous la repreniez. Ils auraient tellement
à y perdre. Ils vont essayer de vous faire peur en vous parlant des dérapages
« en marge » du mouvement. Ils
vous mettront en garde contre la violence qu'ils diront « inhérente » à ce genre de
protestation « anarchique » en vous montrant les images de policiers
chargeant des manifestants (et vous devrez comprendre que vous y allez à vos
risques et périls). Ils vont sans doute vous dire que les
« manifestants » sont chevelus, répugnants, qu'ils ne se lavent pas
et salissent les trottoirs sur lesquels ils s'installent, que l’on craint des
problèmes d'hygiène dus à la promiscuité, que les riverains se plaignent du
« bruit et des odeurs ». Ils vont tenter de vous décourager en vous
disant que tout cela ne sert à rien, que leurs revendications sont ridiculement
irréalistes, que ce ne sont que des gesticulations de gamins oisifs et
paresseux qui ne savent même pas s'organiser en parti, avec des représentants
et des porte-paroles, car c'est comme ça qu'on fait quand on veut vraiment
obtenir un résultat en politique. Qu'ils nous aient donné plus d'une fois la
preuve de leur incompétence et de leur impuissance, et ce malgré la gigantesque
machinerie politico-administrative qui les entoure, ne semble pas les gêner outre
mesure...
Si ils ne nous mentent pas sciemment
(hypothèse que l'on ne peut malheureusement écarter) c’est encore plus grave
car ils passent à côté de l'essentiel. Car ce qui est important ce n'est pas la
ou les revendications qui sont adoptées chaque soir dans les Assemblées Générales :
c'est tout le processus de délibération,
la démocratie directe à l’oeuvre. Les Nuit Debout démontrent que les gens
comprennent les problèmes, ont des idées, savent les exprimer avec discipline,
les critiquer avec respect et savent se mettre d'accord pour prendre des
décisions. Nuit Debout, c’est le contraire de la bureaucratie, de cette élite
qui légifère pour elle même, en catimini et avec l’objectif de changer le moins
possible.
Est ce que c'est « bordélique » ?
Oui sans doute parfois. Mais avez-vous suivi les débats à l'assemblée nationale ?
Savez comment s’opèrent les tractations entre députés ou sénateurs , tard dans la nuit, lorsque le bon peuple
dort ? Avez-vous vu le sang sur les
murs des sièges des partis, sang de ceux qui un jour ont osé défier l'autorité
du « chef » ? Avez vous senti l'odeur âcre et lourde des arrières-cuisines
dans lesquelles se mijotent des recettes économiques qui ne font qu’appauvrir
et endetter encore plus les plus pauvres et les plus endettés ? Entendez-vous
les tambours des rhétoriques creuses et des éléments de langage repris en
boucle sur les chaînes de news ? Je ne crois pas que les Nuit debout ait à
rougir de leur bordel. Au moins, le leur, ils ne le cachent pas sous les
profonds tapis des salons dorés de la République : ils les montrent aux
caméras qui témoignent place de la République et sur toutes les places de
France qui les accueillent.
Quel rapport avec les Open-Villages ?
Dans chacune des communautés où nous sommes
passés, nous avons été témoins de pratiques démocratiques simples, efficaces,
directes dont nous avons parfois rendu compte dans ces colonnes. (Voir nos
précédents articles)
Lorsque nous avons été invités à assister à la
réunion annuelle du bureau de l'association paroissiale à Enampore (Senegal) qui
rendait compte de sa gestion devant l'ensemble des membres de la paroisse, nous
avons vu des élus qui ont dû défendre leurs actions et leurs dépenses devant un
public attentif, parfois critique, jamais complaisant.
A Tizi n’oucheg (Maroc) le plan de développement
a été établi par les villageois et son exécution donne lieu à des consultations
régulières autour de la fontaine du village.
A Providencia de Dota (Costa Rica), le budget de
la communauté et la liste des projets qu’il permettra de financer sont votés par
tous les habitants qui décident aussi collectivement du prix de certaines
denrées ou services qu'ils auront à s'échanger au cours de l’année.
Ces
moments de démocratie directe en acte, moments sérieux ou se prennent des
décisions qui engagent l'avenir de la communauté, sont souvent suivis d’une fête,
avec les bruits des tam-tams et les cris des enfants qui jouent, l’odeur
des grillades, les rires d’adversaires
acharnés lors des débats et qui se réconcilient autour d'un assiette de riz ou
d'un plat de viande. La démocratie apaisée n'est pas une démocratie qui se
pratique à distance des problèmes, enfermée dans un isoloir et sous
surveillance policière. C’est une démocratie de la parole reprise et échangée,
du débat contradictoire et de la décision consensuelle par les personnes
directement impliquées par ces décisions.
En ce sens, ce que les Nuit Debout essayent
d'inventer jour après jour n'est rien d'autre qu'un Open-Village. Open-Village
éphémère sans doute mais village quand même, autonome, communautaire, libre, éducatif,
inspirant, partageur, solidaire, accueillant, .... Un village en open-source,
qui met à nu en toute transparence son code (qui comprend mais ne se limite pas
à la gestuelle qui sert à communiquer lors des AG), son mode de fonctionnement,
ses bugs et ses plantages aussi parfois, pour que chacun puisse se les
approprier, les améliorer, les distribuer.. C’est de la bêta-démocratie, pas de
la démocratie pour les stupides, mais de la démocratie qui s'essaie et
s’expérimente. C'est gratuit et c'est intéressant. Mieux que ça, c’est gratuit et ça a beaucoup de valeur.
Allez-y et racontez nous. Cela fait des mois
que nous sommes partis, et que nous vous retraçons le plus fidèlement possible ce
que nous voyons dans les communautés qui nous accueillent. Parfois nous sommes
surpris, rarement déçus, souvent enthousiastes par nos rencontres et par ce que
nous apprenons. Alors, à votre tour d'être journalistes, pour raconter quelque
chose de positif, de vraiment nouveau et qui soit porteur d'espoir. Plus
encore, à votre tour d'être des politiques, les moi-présidents de votre rue,
les sénateurs de votre cage d'escalier, les députés de votre chemin de campagne
ou de votre piste cyclable ; allez exprimer vos rêves d'autonomie et vos
désirs d'avenir.
A votre tour d'être des citoyens.
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