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lundi 7 décembre 2015

La route : 3 premières études de cas (2/3)

J’ai déjà évoqué dans ce blog la critique Illitchienne sur les modes hétéronomes de transport: au-delà d’un certain seuil, les investissements visant à faciliter ou accélérer les déplacements « jouent » contre leurs objectifs. Cette analyse a elle-même été beaucoup critiquée par les partisans du développement par les infrastructures et, il faut l’avouer, complètement ignorée par les décideurs politiques du Nord et du Sud qui ont continué de plus belle à dépenser l’argent de l’Etat dans de belles autoroutes ou de nouvelles lignes de TGV. Ont-ils eu tort ? Comme toujours la réponse est certainement à nuancer. Plutôt que d’entrer dans ce débat qui est autant technique qu’idéologique, j’ai choisi cette fois-ci de partager avec vous quelques observations glanées lors de ce voyage. 
Voici la 2ème partie.
Lire ici la 1ère partie 


Bigodi (Ouganda) : La route dangereuse

De notoriété publique, les routes sont très dangereuses en Ouganda et l’impression d’insécurité est encore plus forte lorsque l’on vient d’un pays où l’on conduit à droite (l’Ouganda, ancienne colonie anglaise, a choisi la conduite à gauche). Mais ce n’est pas de ce danger là que je veux parler ici.
L’état ougandais est en train de faire aménager une route 2X2 voies qui permettra de relier Fort Portal à Kamwenge. Cette route traverse le parc national et la forêt de Kibale à quelques encablures de la zone d’habitat des chimpanzés. Les habitants craignent que ce nouvel axe n’affaiblisse l’économie du village bâtie en grande partie sur le développement d’un écotourisme adossé à la richesse de l’écosystème local en espèces d’oiseaux et de singes. La nouvelle route risque fort de faire fuir les primates et les oiseaux et avec eux les touristes qui, quoiqu’il en soit, ne s’arrêteront plus pour dormir à Bigodi puisque Fort Portal, la grande ville de la région, sera à moins d’une heure du village.

Cette route recèle d’autres dangers pour l’équilibre économique et écologique de la zone.

Tout d’abord, en l’absence d’un contrôle très strict, elle va accroître la pression sur des ressources forestières déjà très affaiblies puisqu’en rendant l’accès au bois moins coûteux, son exploitation deviendra plus rentable, aiguisant les appétits des opérateurs de la filière.

De même, là où le réseau routier se modernise, on observe souvent une spécialisation de la production. L’accès au marché devenant plus facile, les paysans transforment peu à peu leur agriculture d’autosuffisance en une agriculture de revenus. Ce risque est réel à Bigodi où l’on nous a souvent parlé de la « cash-crop », c’est-à-dire de la recherche de la culture qui produirait le meilleur rendement financier à ses exploitants. En offrant un accès compétitif aux marchés finaux ou aux unités de valorisation, la route va accentuer cette « tentation de la monoculture » dont on connait aujourd’hui les effets désastreux sur les sols et la précarité qu’elle introduit chez les paysans qui s’y fient sans réserve.


En ce qui concerne la lutte contre la pauvreté,  de nombreuses études ont montré que les nouvelles routes bénéficient rarement aux plus pauvres dans les villages. En effet, la possibilité d’accéder à de nouveaux marchés les concerne moins et les plus pauvres n’utilisent les infrastructures de transports que pour leurs besoins essentiels (accès aux cultures à l’eau ou au bois de feu). Or, pour ces besoins les chemins sont beaucoup plus utiles que les routes. De plus, la construction d’une route peut résulter dans l’augmentation des prix du foncier, mettant les plus démunis en grand danger d’expropriation (et donc d’exclusion de l’accès à la terre qui est leur seul moyen de subsistance) si ils ne sont pas propriétaires des terres qu’ils occupent. La (déjà !) grande inégalité sociale que nous avons observée à Bigodi entre ceux qui ont su ou pu profiter de la manne touristique et les autres ne laisse rien présager de bon de ce côté-là non plus.



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