J’ai déjà évoqué dans ce blog la critique Illitchienne sur les modes
hétéronomes de transport: au-delà d’un certain seuil, les investissements
visant à faciliter ou accélérer les déplacements « jouent » contre
leurs objectifs. Cette analyse a elle-même été beaucoup critiquée par les
partisans du développement par les infrastructures et, il faut l’avouer,
complètement ignorée par les décideurs politiques du Nord et du Sud qui
ont continué de plus belle à dépenser l’argent de l’Etat dans de belles
autoroutes ou de nouvelles lignes de TGV. Ont-ils eu tort ? Comme toujours
la réponse est certainement à nuancer. Plutôt que d’entrer dans ce débat qui
est autant technique qu’idéologique, j’ai choisi cette fois-ci de partager avec
vous quelques observations glanées lors de ce voyage.
Voici la 2ème partie.
Lire ici la 1ère partie
Bigodi (Ouganda) : La route dangereuse
Voici la 2ème partie.
Lire ici la 1ère partie
Bigodi (Ouganda) : La route dangereuse
De notoriété publique, les routes sont très dangereuses en Ouganda et
l’impression d’insécurité est encore plus forte lorsque l’on vient d’un pays où
l’on conduit à droite (l’Ouganda, ancienne colonie anglaise, a choisi la
conduite à gauche). Mais ce n’est pas de ce danger là que je veux parler ici.
L’état
ougandais est en train de faire aménager une route 2X2 voies
qui permettra de relier Fort Portal à Kamwenge. Cette route traverse le parc
national et la forêt de Kibale à quelques encablures de la zone d’habitat des
chimpanzés. Les habitants craignent que ce nouvel axe n’affaiblisse l’économie du village
bâtie en grande partie sur le développement d’un écotourisme adossé à la
richesse de l’écosystème local en espèces d’oiseaux et de singes. La nouvelle
route risque fort de faire fuir les primates et les oiseaux et avec eux les
touristes qui, quoiqu’il en soit, ne s’arrêteront plus pour dormir à Bigodi
puisque Fort Portal, la grande ville de la région, sera à moins d’une heure du
village.
Cette route recèle d’autres dangers pour
l’équilibre économique et écologique de la zone.
Tout d’abord, en l’absence d’un contrôle très
strict, elle va accroître la pression sur des ressources forestières déjà très
affaiblies puisqu’en rendant l’accès au bois moins coûteux, son exploitation deviendra
plus rentable, aiguisant les appétits des opérateurs de la filière.
De même, là
où le réseau routier se modernise, on observe souvent une spécialisation de la
production. L’accès au marché devenant plus facile, les paysans transforment
peu à peu leur agriculture d’autosuffisance en une agriculture de revenus. Ce risque
est réel à Bigodi où l’on nous a souvent parlé de la « cash-crop »,
c’est-à-dire de la recherche de la culture qui produirait le meilleur rendement
financier à ses exploitants. En offrant un accès compétitif aux marchés finaux
ou aux unités de valorisation, la route va accentuer cette « tentation de
la monoculture » dont on connait aujourd’hui les effets désastreux sur les
sols et la précarité qu’elle introduit chez les paysans qui s’y fient sans
réserve.
En ce qui concerne la lutte contre la pauvreté, de nombreuses études ont montré que les
nouvelles routes bénéficient rarement aux plus pauvres dans les villages. En
effet, la possibilité d’accéder à de nouveaux marchés les concerne moins et les
plus pauvres n’utilisent les infrastructures de transports que pour leurs
besoins essentiels (accès aux cultures à l’eau ou au bois de feu). Or, pour ces
besoins les chemins sont beaucoup plus utiles que les routes. De plus, la
construction d’une route peut résulter dans l’augmentation des prix du foncier,
mettant les plus démunis en grand danger d’expropriation (et donc d’exclusion
de l’accès à la terre qui est leur seul moyen de subsistance) si ils ne sont
pas propriétaires des terres qu’ils occupent. La (déjà !) grande inégalité
sociale que nous avons observée à Bigodi entre ceux qui ont su ou pu profiter
de la manne touristique et les autres ne laisse rien présager de bon de ce côté-là
non plus.
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