Il
serait incongru d’être venu en Inde pour y étudier le développement autonome
sans évoquer une des grandes figures de cette philosophie politique.
On
ne connait souvent du Mahatma Gandhi que sa lutte non violente pour
l’indépendance de l’Inde. On connait beaucoup moins sa pensée économique qui
fut pourtant fort riche et qu’il expliqua en détail dans de nombreux textes.
Gandhi ne fut d’ailleurs pas qu’un théoricien mais aussi un praticien engagé.
Il passa la fin de sa vie à tenter de convaincre les indiens et leurs
gouvernements successifs à appliquer des principes sans lesquels il affirmait
que l’Inde perdrait son âme. Lui-même vécut une vie sobre et simple, en
harmonie avec ses idées, preuve que cette « grande âme » indienne
était aussi un philosophe au sens que ce mot avait dans l’antiquité
grecque.
La
réflexion de Gandhi sur l’autonomie s’articule autour de trois concepts simples
mais qui s’agencent parfaitement pour former une politique économique tout à
fait cohérente.
Swaraj : l’autonomie
La théorie économique classique avec Smith
puis Ricardo a affirmé qu’il était plus profitable à une nation « de ne jamais essayer de faire chez soi la
chose qui coûtera moins à acheter qu’à faire » (La Richesse des Nations, Livre
4). Gandhi retourne complètement cette évidence a priori en affirmant que
chaque pays ne devrait compter que sur ses propres ressources. Il fait d’ailleurs
de ce credo la pierre angulaire de sa réflexion économique puisqu’il l’applique
aussi bien aux états qu’aux villages et même aux individus et l’on connait tous
sa défense du Kadhi et du rouet pour lutter contre l’invasion de textile anglais qui
appauvrissait les indiens (vers 1880, près de 60 % des produits textiles en Inde venaient d'Angleterre, et l'on estime qu'environ 3,6 millions d'emplois ont été détruits en Inde dans ce secteur entre 1850 et 1880, sources: lemonde.fr).
Bien entendu ce rejet
de la logique libre échangiste n’est compréhensible que dans le cadre d’un
changement de référentiel puisque pour Gandhi la référence n’est pas le profit
mais la liberté.
Le Swaraj accorde donc la primauté au
secteur traditionnel et notamment à l’agriculture car elle est le premier
pilier de l’autosuffisance de chacun (individu, famille, collectivité ou états)
dans la satisfaction de ses besoins de base. Il affirme aussi une préférence
marquée pour la production par de petites unités décentralisées. Gandhi
reconnaissait bien sûr l’utilité d’une industrie et parfois la nécessité de
concentrer certaines activités capitalistiques mais pour lui, la priorité était
à donner avant tout à la micro entreprise qu’elle soit agricole, artisanale ou
industrielle car elle seule donnait à chacun les moyens de son auto subsistance
et donc de sa liberté.
Swadeshi : l’économie familiale
Gandhi pensait que l’Inde existait dans
ses villages et non pas dans ses villes. Là aussi, il va à contrecourant des dynamiques
sociales et démographiques occidentales qui ont mis les villes au centre des attentions
des gouvernements des pays riches délaissant le monde rural jusqu’à ce que celui-ci
disparaisse quasi-totalement.
L’économie capitaliste qui promeut la
division du travail pour réduire les coûts et améliorer les profits transforme
des êtres humains, des individus dignes, en de simples servants
interchangeables des machines. Ainsi que Gandhi le disait : "Vous ne
pouvez pas construire la non-violence sur une civilisation des usines, mais
elle peut être construite sur des villages qui s'auto-limitent… Vous devez donc
avoir une mentalité rurale, et pour l'avoir, vous devez avoir la foi dans le
métier à tisser."
Avec le Swadeshi, la machine reste l’esclave
du travailleur (et non pas l’inverse) et chaque village peut se protéger des
forces du marché qui pourraient déséquilibrer son économie en orientant sa
production d’abord vers la satisfaction de ses propres besoins et en donnant la
préférence à l’artisanat local.
Trusteeship : Tutelle au profit de la
communauté
Le concept de trusteeship est enraciné
dans la spiritualité indoue et notamment dans l’esprit de détachement et de
service. Toute chose appartenant à Dieu et venant de Dieu, elle ne pouvait pas
avoir été destinée à un seul individu mais à toute l’humanité.
Un individu ne peut donc être que le tuteur
de ce qu’il obtient de Dieu et qu’il doit donc administrer pour son compte en
ayant à cœur non son propre intérêt mais celui de la communauté. L’homme qui s’éloigne
ainsi de la satisfaction égoïste pour aller vers la recherche du bien-être pour
le plus grand nombre avance vers la pleine réalisation de soi. Pour y parvenir,
chacun doit donc s’efforcer de limiter ses besoins au minimum plutôt que de
laisser la cupidité et l’envie le guider.
Postérité de la pensée Gandhienne
Les idées Gandhiennes ont influencé de
nombreux mouvements et penseurs jusqu’à aujourd’hui même si ces derniers n’ont
pas toujours reconnu la dette intellectuelle qu’ils ont envers lui.
Le mouvement de retour vers la terre des
soixante-huitards en communautés autonomes est directement inspiré du rejet gandhien
de la société de consommation qui aliène l’homme et de la priorité qu’il
donnait à l’économie rurale. Ce mouvement reprend aujourd’hui avec force dans
des pays très affaiblis par la crise comme la Grèce et l’Espagne.
Les penseurs de la décroissance et de la
sobriété heureuse, lorsqu’ils plaident pour la réduction de la consommation et
pour la nécessité de remettre l’économie au service des hommes et non pas les
hommes au service de l’économie, sont les héritiers directs de Gandhi. Ainsi d’Ivan
Illitch qui plaide pour une société conviviale dans laquelle les outils restent
au service de ceux qui les utilisent et non pas l’inverse ou de Cornelius Castoriadis
qui rejoignait Gandhi dans sa même condamnation des systèmes capitalistes et
socialistes pour promouvoir une société autonome.
Enfin, comme quoi tout est possible, la FAO
a fait en 2014 l’éloge de l’agriculture familiale comme moyen de lutter
efficacement contre la pauvreté en milieu rural.
Il y a aurait beaucoup plus à dire bien
sûr… Je m’y remettrais sans doute dans un prochain post.
Ce post me donne envie de relire la boographie de Ghandi écrite par Jacque Atali. C'est intéressant la partie Autonomie surtout dans le secteur Textile. Le cas de certains pays où l'informel se développe à grande vitesse pour assurer l'autonomie en habillement. L'ouvrier se retrouve mieux rémunéré dans l'informel que dans les usines qui produisent pour exporter. Ces derniers trichent sur le salaire minimum et les déclaration sociale pour d'assurer une pseudo-productivité et détruire les espoirs d'une masse salariale compétente et qui aspire à un meilleur avenir pour les enfants. Le succès de l'informel s'accentue d'autant plus que le volet social n'est dans tous les cas pas assuré ( pas d'hopitaux, pas d'ecoles ). De plus en plus d'ouvriers préférent travailler dans l'informel et être payés au noir et à la semaine. Ils ont la conviction que dans tous les cas ils ne bénéficieront jamais des retombées de leur cotisations. Les gouvernements de ces pays ont démissioné de la gestion de la chose sociale et délégue de plus en plus l'eau, l'électricité, les écoles, les hopitaux au privé qui dans sa quěte du profit fera disparaitre le mot social de notre vocabulaire.
RépondreSupprimerCes ouvriers se retrouveront naturellement hors système en s'accrochant à la proximité de l'informel qui se gére en famille, en quartier, en communauté.
Le risque est de voir ces ouvriers se faire remplacer dans les usines exportatrices par des ouvriers venant des horizons lointains en quête d'une vie meilleure.
Je viens de jeter un coup d'oeil sur un site qui m'a servi de référence concernant Gandhi. http://www.mkgandhi.org/main.htm
SupprimerLe site a été réorganisé depuis ma précédente visite il y a quelques mois. On y trouve ... tout sur Gandhi, y compris son autobiographie et ses textes en téléchargement gratuit. En anglais bien sûr... Enjoy!
Belle réflexion..le Maroc riche de son agriculuture..gagnerait à la mettre au coeur des ses préoccupations pour en faire un levier de croissance en préservant les populations sur place
RépondreSupprimerOn attend.de te lire ..