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samedi 17 octobre 2015

Hospitalité à vendre

L’hospitalité est-elle à vendre ? Pour nous qui avons grandi et vécu dans un pays où l’hospitalité est (encore…) un art de vivre, la question peut sembler saugrenue. Comment pourrait-on vendre ce qui a plus de valeur que tout ce qu’on possède ? Dans la plupart des traditions du Nord au Sud de l’Afrique l’hospitalité est un bien moral avant d’être un actif valorisable. Elle ne s’échange pas, elle se donne. Dans les communautés où l’hospitalité a encore un sens éthique, la famille la plus pauvre reçoit son hôte en tuant son dernier poulet qu’elle avait gardé pour cette occasion. Et si le voyageur de passage ne devait plus jamais revenir,  il n’y aura de toutes manières pas eu de dette contractée et à recouvrir.


Que ce soit chez les berbères musulmans de Tizi n’Oucheg, ou chez les diolas animistes d’Enampore, l’hospitalité est un bienfait autant qu’elle est un devoir et est inscrite au fronton des valeurs cardinales qui constituent le socle éthique de ces communautés. Chacun, hôte accueillant et hôte accueilli, voit dans l’hospitalité la plus haute forme de la dignité humaine et de la charité envers son prochain. Ainsi dans le Coran, au moins deux sourates expriment clairement le commandement de porter assistance au voyageur et à l’étranger :
Coran  02- 211 :
Ils t'interrogeront comment il faut faire l'aumône. Dis leur : - il faut aider : les parents, les proches, les orphelins, les pauvres, les voyageurs. Le bien que vous leur ferez sera connu de Dieu.

Coran  04 - 40 :
Témoignez de la bonté à vos parents, aux orphelins, aux pauvres, aux clients de votre famille et aux clients étrangers, à vos compagnons, aux voyageurs et aux esclaves. Dieu n'aime pas les orgueilleux et les présomptueux.

Hélas… Même les valeurs « cardinales » peuvent être dégradées et reléguées au rang de simple instrument au service de l’enrichissement des hommes.
A Bigodi, petit village du centre-ouest de l’Ouganda, en bordure du Parc National de Kibale, on peut lire sur une pancarte : « “Hospitality is the password to Prosperity” (l’hospitalité est le mot de passe pour accéder à la prospérité). Cette communauté a centré toute sa stratégie de développement sur la protection de l’écosystème (et notamment de la forêt de Kibale qui est l’habitat naturel de nombreuses espèces d’oiseaux et de singes) contre la promesse faite aux villageois qu’ils en tireraient des bénéfices « sonnants et trébuchants» au travers du tourisme. L’hospitalité y est donc devenue naturellement une source de revenus, et l’étranger un portefeuille ambulant.

                                     Crédit Photo: Ahmed Benabadji

Voilà une illustration de plus que la raison instrumentale n’a que faire des valeurs culturelles, ou encore, pour reprendre l’opposition kantienne, que la morale utilitariste (sur laquelle se fonde en grande partie l’esprit du capitalisme) considère qu’il est plus profitable de traiter autrui comme un moyen que comme une fin.

A cette condamnation « morale », on peut ajouter celle exprimée avec une grande force par Ivan Illitch dans son livre d’entretiens avec Davis Cayley (« la corruption du meilleur engendre le pire », Actes Sud).  Illich, qui fut prêtre catholique avant d’être philosophe, y condamne la perversion dont notre société déshumanisée est la création directe. Cette perversion se caractérise par l’institutionnalisation des valeurs (notamment la charité dans l’exemple que prend Ivan Illitch) et la commercialisation de services en remplacement de la relation à l'autre. L'autre n'est plus considéré qu’au travers du besoin qu’il est censé exprimer et cette réduction d’un individu à une expression de besoin « s'impose avant qu'il ait même pu placer un mot ».

En institutionnalisant l’hospitalité, on la dégrade. En faisant de cette valeur de l’intersubjectivité un objet marchand, on réduit une dignité humaine en une série de processus organisés (hébergement, restauration, visites guidées, …) dont la rentabilité et le retour sur investissement sont mesurés et optimisés.  Or la véritable hospitalité est comme l’éducation : elle ne s’épuise pas quand on l’offre. Elle est une richesse sans cesse renouvelée pour peu que l’on prenne garde à la protéger de ce qui la dégrade : le calcul, l’argent.  

Dernière petite remarque en forme de clin d’oeil : Il me semble ironique que la phrase trouvée sur la pancarte à Bigodi utilise le mot « password » : C’est comme si l’hospitalité permettait d’ouvrir une porte secrète conduisant à la richesse comme le « sésame ouvre-toi » permit à Ali Baba d’entrer dans la caverne aux trésors des 40 voleurs. Attendez… j’ai dit « des 40 voleurs » ?







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