Facebook

Créer par LeBlogger | Customized By: Ajouter ce gadget

lundi 20 février 2017

L'Etat contre les Open Villages?

On nous dit parfois en parlant de ces Open Villages qui prétendent se débrouiller seul et pallier les faiblesses et insuffisances de l'Etat par leurs propres moyens
"C'est génial pour eux mais c'est dangereux si tout le monde se met à faire son truc dans son coin! ". Phrase singulière qui dit dans un même souffle que ce qui est bon est dangereux... 

Ou alors peut-être faut-il comprendre que ce qui est bon pour les campagnes est dangereux pour les villes? Ou alors que ce qui est bon pour les administrés est mauvais pour l'administration? 




Le modèle social dominant est hiérarchique

Ce paradoxe que personne n'assume est pourtant sans doute en grande partie vrai tant l'Etat moderne donne-t-il souvent l'impression de se construire sans les citoyens et parfois même contre eux. Et sans doute est-il vrai aussi que la ville mène une guerre d'usure avec la campagne, une guerre d'hégémonie économique, culturelle et sociale, une guerre de conquête des terres et des esprits et d'exploitation des meilleurs ressources. Une guerre coloniale en somme dans laquelle une partie de la population, plus riche, plus éduquée asservit et appauvrit l'autre peu à peu. Qu’en agissant ainsi elle scie de plus en plus vite la branche dorée sur laquelle la bonne fortune l’a perchée ne semble pas la perturber…

Cette idée que sans l'Etat, sans son bras administratif qui quadrille le territoire, sans un "chef" qui gouverne il n'y aurait plus de contrôle possible, plus de vision globale, plus d'optimisation des ressources, voire même plus d'équité, est finalement assez répandue. C'est pourtant une vision purement citadine, une vision de "transplantés" dans un jardin à la française qui pour survivre et fleurir a besoin d'un jardinier qui ordonne, taille, aligne, plante et repique, d'une force extérieure qui arrose et prenne soin des plantes sans quoi elles dépériraient très vite sous les assauts désordonnés des mauvaises herbes et des ronces. 

Nous avons tous été éduqués à croire en la supériorité du modèle hiérarchique et pyramidal, valorisant inconsciemment l'ordre, la structure, la symétrie. Ces schémas de pensée font tellement partie de notre inconscient que nous finissons par croire qu'ils sont "naturels", transcendants à toute activité et à toute organisation et qu'en dehors d'eux il n'y a pas de société possible. 


La réalité est (bien plus) complexe 

Mais c'est oublier que tout système complexe (et une société, avec ses acteurs politiques, privés, publics, ses citoyens, sa dynamique sociale, etc. est bien un système complexe) est au moins en partie auto adaptatif. Dans un tel système, lorsqu’un vide se crée, chacun élément, chaque partie va essayer de le combler. Il en va ainsi du corps humain: retirez la vésicule biliaire à un patient et c’est son foie qui redouble d’effort pour faciliter le processus de digestion. Lors de tels changements un nouvel équilibre se crée, de nouveaux rôles sont pris par de nouveaux acteurs ou par les acteurs existants afin que l’ensemble survive et se développe. Si les Open Villages se substituent peu à peu à l’Etat sur certaines de ces prérogatives actuelles (reprenant ici en main une partie de l’éducation; là, la gestion des déchets ou de l’eau; ailleurs, la solidarité envers les plus démunis), l’Etat va s’adapter soit en abandonnant le terrain à des acteurs plus performants que lui pour concentrer ses moyens sur d’autres missions , soit en redoublant d’efforts et d’imagination pour reconquérir « par par le haut » le terrain perdu, soit encore en mettant en place des partenariats avec ces nouveaux acteurs, qui lui permettra d’assurer un minimum de contrôle et de coordination des initiatives locales.

Tout changement nécessite une rupture avec le statu quo ante et les Open Village peuvent être un élément déclencheur, forçant certaines institutions à reconfigurer leur place, leur rôle et leur niveau de performance. 

Le risque de « chaos » n’existe que lorsque les anciens organes se mettent à défendre l'ancien statu quo au lieu de s’adapter. Mais alors, ce n'est pas le disrupteur qui est un danger pour l'ensemble du système mais celui qui résiste à la disruption. Si l'Etat accompagne ce changement et l'envisage positivement, alors il n’y a pas de danger, bien au contraire. C'est même sans doute le seul moyen de dégripper des rouages qui ne tournent plus et de débloquer des problématiques sociales devenues insolubles comme le chômage des jeunes, l’insécurité dans les villes, le travail informel ou l’éducation.


Un "cas d'école": l'éducation

Tout le monde s'accorde à dire que notre système éducatif est en déshérence totale au delà de toute rédemption, irréformable car trop sclérosé ou plutôt même pétrifié dans des schémas du passé et des "logiques pédagogique" qui tiennent plus de l'idéologie sectaire que de la pédagogie vivante. Sur ce cadavre monumental s'accrochent encore comme des moules sur leur rocher des corporations dont la seule vision d'avenir est la reproduction infinie de leur rente de situation. Et dessous, écrasés par le système, étouffés, suffoqués par l'absence d'air, de mouvement et de lumière, nos enfants. Tous ceux qui s'attaquent à la réforme du Mammouth s'y cassent les dents, et les plus volontaires limitent aujourd'hui leurs ambitions à de bien modestes et inutiles changements.

Et pourtant, il existe des solutions et des modèles alternatifs qui ont fait leur preuve. Comment les mettre en oeuvre ? Tout simplement en sortant des sentiers battus et en reprenant son autonomie, ce qui ne veut pas nécessairement dire s’opposer au système existant. Lors d’une conférence organisée par l’association « les Citoyens » sur les nouveaux modèles d’éducation et de création de valeur, j’ai eu l’occasion très récemment de partager la scène avec Ahmed Salmi Mrabet qui dirige depuis plus de 15 ans une école alternative dans la région de Tanger. Encore une école privée qui s’inspire de modèles pédagogiques bien éloignés de notre culture et de nos moyens? Détrompez vous, l’école Hajrat Nhal est un îlot d’innovations pédagogiques à l’intérieur de l’éducation publique. Mais pour réussir son projet de « faire l’école autrement », Mr Mrabet a dû prendre son autonomie tout au moins partiellement. Il a imaginé une école inscrite dans la communauté rurale qui l’abritait, en prise directe avec les problématiques locales (emplois, environnement, …) et est allé chercher des aides et des financements en dehors des maigres budgets alloués par l’Etat.  Son école (voir une courte vidéo de présentation ici) est aujourd’hui un modèle reconnu au sein même du ministère de l’éducation nationale qui loin de résister à cette innovation disruptive l’embrasse et cherche à en généraliser les bonnes pratiques. 


Car il n’est pas vrai que l’histoire des innovations sociales soient vouée à être celle des conflits d’arrière garde entre une administration qui serait « bornée » et réfractaire à tout changement et un société civiles pleine d’idées mais sans pouvoir d’éxécution. Pour nous en convaincre, relisons ce que disait le Secrétaire Général du Ministère marocain de l'Agriculture, du Développement Rural et des Pêches Maritimes, lors de la présentation de la stratégie 2020 de développement rural :

« Notre stratégie a pour point de départ un constat essentiel : le développement rural ne doit pas être considéré comme un programme émanant uniquement de l'État. Il doit être un phénomène de société et se fonder sur les initiatives des acteurs ainsi que sur la mise en cohérence des multiples projets qu'ils formuleront. Dans cette perspective, nous pensons que le rôle de l'État est à reconsidérer. » 

C’est à ce « phénomène de société » que les Open Villages entendent participer.

2 commentaires:

  1. Merci Ahmed ..tes articles ,je les lis et les relis ...et ils accompagnent mes questionnements.Si mes enfants semblent très au fait de la nécessité de devenir des "grenouilles " et d enclencher cette disurption dont tu fais l'éloge , je me pose quant à moi aussi bcp de questions et peine à continuer à participer au "bon dysfonctionnement " du "cadavre"..difficile d'être une moule !!! fruit de mer au demeurant sympathique pourtant mais au final ce filtre poreux me donne ce matin des hauts le coeur !!! je me sens une âme mollusque malgré ma nouvelle installation loin des embruns au milieu des oliviers... donc comme chaque jour je vais panser cet intestin colonisé et penser encore et encore à un chemin plus digeste...
    Encore merci. Catherine Orlando.

    RépondreSupprimer
  2. Salut Ahmed.
    En lisant avec saveur ton post, que dire ton article au demeurant très bien écrit (talent d'écrivain caché et qu'ignorai), je me suis aperçu que, mes parents et moi avec, nous faisions de "l'openVillage", sans le savoir.
    Cela fait belle lurette que l'Etat soit disant régalien a déserté notre village: pas d'eau courante, pas de route, écoles délabrées de piètre qualité. bref rien ne semble nous relier avec les services publics offerts en ville.
    Nous avons creusé nos puits pour boire et parfois se laver, nous avons grâce à l'argent des parents MRE en Europe construit des chemins/routes, nous avons tout fait y compris les panneaux solaires pour introduire un peu de modernité dans nos demeures !

    Qu'attendre des politiques publiques dans nos villages ? rien à mon sens.
    ----
    Driss CHOUKRI

    RépondreSupprimer

N'hésitez pas à commenter ou à poser des questions!

Vous souhaitez être tenu au courant des nouveaux articles?

Abonnez-vous. Vous recevrez les aricles par mail