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dimanche 16 août 2015

Risques, dangers et éducation


Hier, nous étions au Moussem (foire) de Setti Fatma. Avec nous, des centaines d’enfants des villages aux alentours s’agglutinaient autour des stands des forains, les yeux écarquillés devant les étals de jouets, ou dévalaient la grande rue, qui à la recherche d’une attraction qu’il aurait manqué, qui se dépêchant vers un transport public qui le ramène à temps chez lui. Nous nous sommes émerveillés de l’indépendance de ces enfants et de leur placidité lorsque nous primes un Range Rover bondé pour remonter à Tizi. Nous étions 15 entassés à l’intérieur et il y en avait 15 autres sur le porte bagage s’accrochant tant bien que mal aux barres de toit pour éviter de tomber du véhicule sur une route de montagne boueuse et détrempée par la pluie. Manifestement nous violions plusieurs règles basiques de sécurité mais personne n’en avait cure…


Pendant ce temps, au village, une jeune fille a perdu la vie. 
Elle s’est noyée en tombant du bord du réservoir dans lequel se baignent habituellement les enfants. Les pluies récentes ont rendu le muret glissant, elle ne savait pas bien nager. 

Des risques que l’on gère …

Comment gère-t-on un tel drame dans nos sociétés dites avancées ? On fait une enquête, on cherche le coupable, on incrimine les autorités qui n’ont pas mis en place les garde-fous nécessaires, on accuse les parents de négligence, on s’indigne de cette mort inutile et on finit par interdire l’accès du bassin aux enfants. Dans un deuxième temps, on calcule les probabilités de ce risque et si le bilan coût-bénéfice est positif on met en place les protections et les sûretés permettant de prévenir ce risque devenu dès lors un objet de probabilités et de gestion optimisée. Si malgré tout cela l’accident se reproduit à nouveau, on refait les calculs et on rédige de nouvelles procédures encore plus contraignantes non sans avoir auparavant cherché à identifier la responsabilité des gestionnaires dans cette nouvelle occurrence.  
En d’autres termes, on applique des modèles mathématiques et on rédige des règlementations. On transforme, par un processus de dérivation dont je parlerai sans doute plus longuement ailleurs, un lieu et une activité habituellement sources de joies pour les enfants (ici le réservoir qui sert de piscine) et un drame terrible (la mort d’une adolescente) en une suite de chiffres et de procédures d’interdiction ou de prévention. Notre comportement est-il rationnel ? Difficile de le nier si l’on se place dans l’objectif d’éliminer les risques qui pourraient nous atteindre. Que cet objectif soit illusoire (il existera toujours un risque résiduel et l’on peut mourir en traversant sa rue) et que parfois il mène à de grands gaspillages de ressources est une autre affaire; mais il reste que l’approche « gestionnaire » est celle qui semble nous garantir le mieux contre les risques récurrents, ceux pour lesquels une politique de prévention s’avère souvent efficace. Où est le problème alors ?



Traditions locales et règlements hétéronomes

A Tizi, on a envoyé quelqu’un prévenir le père, un berger qui gardait son troupeau sur le plateau du Yagour à 3 heures de marche du village. Le père est revenu en courant juste à temps pour stopper les gendarmes qui voulaient emmener le corps de sa fille et effectuer, conformément à la loi, une autopsie afin de s’assurer de la cause du décès. L’institut médico-légal est à 3 heures de route, et compte-tenu des délais « normaux » pour réaliser l’enquête, le corps n’aurait sans doute pas été rendu avant 24h, ce qui était incompatible avec l’obligation religieuse d’enterrer un mort le plus rapidement possible. Ici, la tradition entrait en opposition avec la loi.
Finalement, après plus d’une heure de palabres et de négociation, de conversations téléphoniques avec la hiérarchie à Marrakech, de menaces et d’appels à l’apaisement, les gendarmes ont accepté de laisser le père enterrer sa fille selon la coutume contre… une simple décharge signée. Tout ça pour ça me direz-vous, mais si l’on y réfléchit nos sociétés modernes fonctionnent souvent comme cela : un simple papier administratif en échange d’une obligation morale, un document pour se déresponsabiliser, qui sera archivé avec des milliards d’autres papiers inutiles et qui aura mobilisé un triste jour d’aout 2015, deux véhicules de gendarmerie et un village en colère.
La jeune fille a été enterrée avant même que les gendarmes n’aient tous quitté le village. Maintenant, pendant les deux prochains jours, les gens du village vont se relayer pour préparer tous les repas dans la maison de la défunte afin que la famille puisse accueillir les visiteurs et vivre le plus sereinement possible son deuil. Et puis, les choses reviendront à la normale, la mort étant ici, non pas une fatalité comme on le dit un peu trop facilement, mais un accident naturel du fait de vivre.


La précaution comme vertu et non comme calcul

Elle avait 13 ans. Le matin même, elle avait pétri le pain, préparé le repas de midi et était allé aider son jeune frère aux travaux des champs. Elle était déjà très autonome et était première de sa classe au collège. C’est parce qu’ils étaient tous deux en sueur et couverts de terre que les deux enfants avaient décidé d’aller se baigner dans le réservoir. Lorsqu’elle est tombée à l’eau, son petit frère a essayé de la sortir mais elle était trop lourde pour lui. Dans quelques jours, il repartira travailler aux champs ; dans un peu plus longtemps sans doute il retournera se baigner au réservoir avec les autres enfants.
Tout le monde sait ici que le prix de l’autonomie et d’une vie pleine c’est l’acceptation du risque et de l’une de ses conséquences les plus fâcheuses, la mort. De l’avoir oublié nous a sans doute conduits à la peur, à l’immobilisme et à la stérilité. Il me semble pourtant clair que la seule réponse à l’incertitude et au danger ne réside pas dans les calculs ou les règlementations limitantes mais dans la redécouverte de la précaution comme vertu pratique. Cela nécessite de se replacer sur le terrain de l’éthique et de quitter celui de la gestion. Mais en sommes-nous encore capables ?
Une dernière information pour ceux qui ont du mal à raisonner sans chiffres : le dernier décès accidentel d’enfant à Tizi date d’il y a plus de 15 ans et ce n’était pas une noyade mais une chute. A contrario, en France, avec toutes les règlementations, les interdits, les personnels affectés à la surveillance des plages et des piscines, on compte 4 noyades par jour depuis le début de cet été…


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